Le tissu nerveux est de la dentelle à fleur de peau

4 mars 2022
Posted in News
4 mars 2022 Corinne Déchelette

Le tissu nerveux est de la dentelle à fleur de peau

Le tissu nerveux est de la dentelle à fleur de peau « Ici et maintenant, nous découvrons la dentelle. (…) il n’est pas matière aussi délicate à cerner. Tour à tour discrète, cachée, couvrante, bicentenaire, surannée, ultramoderne, malicieuse, précieuse, brodée, exubérante, transparente, colorée, métamorphosée…, la dentelle nous file entre les doigts dès que l’on cherche à l’expliciter. » Ainsi commence le livre Haute Dentelle de Sylvie Marot. La dentelle se caractérise par le fait que c’est un tissu formant un dessin sans trame ni chaîne. Et bien la peau est une dentelle unique. Ce n’est pas de la dentelle de Calais, de Chantilly ou de Bruges ; la dentelle de peau est une dentelle sensitive. Un pléonasme… dentelle, sensibilité, sensualité, il n’y a qu’un pas. 

 

Corinne : — La dentelle cutanée a pour motif un réseau de pédoncules de fleurs. Patrick : — Flore ou fleurs ? 

Corinne : — La dentelle de peau est en fait un tissu nerveux qui affleure en surface. 

 

Patrick : — D’où l’expression « avoir les nerfs à fleur de peau ». 

 

 Si cette expression est une image utilisée pour décrire une sensibilité nerveuse extrême qui donne au sujet l’impression d’avoir les nerfs exposés à la surface, ceci n’est pas très loin de la réalité. En effet, le tissu nerveux est un réseau de nerfs sensitifs ramifiés qui forment une dentelle de nerfs qui affleure au niveau de l’épiderme. Et à cela, les terminaisons nerveuses ressemblent à des pédoncules de fleurs. Peau, fleur, affleure, à fleur de peau, dentelle au motif fleurs, dentelle à fleur de peau. « La dentelle est une écriture blanche lisible seulement lorsqu’il y a de la peau en dessous » écrit le poète et critique d’art John Berger . Les motifs de cette dentelle nerveuse sont plus ou moins denses en fonction des régions du corps. En effet, la peau a une innervation afférente très riche, dont la densité varie beaucoup d’un territoire à l’autre. La peau des doigts contient 2 500 récepteurs sensoriels/cm2 ; ce qui constitue une dentelle nerveuse dense. Cette dentelle nerveuse est en contact direct avec le milieu extérieur et représente un système sensoriel majeur. D’ailleurs, le peintre et écrivain français Eugène Fromentin a écrit : « La peinture est à fleur de toile, la vie n’est qu’à fleur de peau ». Sans la peau, ce tissu d’interface tactile, la vie serait privée du sens du toucher. Corinne : — La peau ne pourrait plus toucher. Patrick : — La peau ne sentirait plus qu’on la touche. 

Corinne : — La peau est en état constant d’activité sensorielle car même lorsqu’elle n’est pas touchée par d’autres, elle se touche souvent elle-même. Patrick : — Le toucher est ressenti à la fois à l’intérieur et à l’extérieur : ainsi la peau est unique car elle est capable d’une sensation double. 

 

La peau a du tact. Qu’on se le dise ! Elle est capable d’exprimer un sentiment délicat, de la mesure, des nuances, et ce, grâce à des milliers de récepteurs tactiles superficiels et profonds qui captent les différentes sensations de température, de pression, d’étirement et du toucher stricto sensu. La répartition de ces capteurs sensoriels varie selon que la peau est glabre (sans poils) ou velue (avec poils), et même en fonction du niveau de localisation dans l’épaisseur de la peau. Le système nerveux cutané est riche et complexe ; les trois compartiments cutanés, épiderme (sauf la couche cornée), derme, hypoderme sont innervés. Il existe, à la base de l’épiderme des formations particulières composées par les ramifications d’une fibre myélinisée dont chaque terminaison se termine par un disque. Chaque disque entre en apposition avec une cellule particulière dite cellule de Merkel, et il semble exister de vrais contacts synaptiques entre la cellule et le disque. C’est cette particularité anatomique qui ressemble à des pédoncules de fleurs. Au niveau de la dentelle nerveuse, on trouve entre les fibres nerveuses des corpuscules aux noms étranges : Ruffini, Krause, Pacini, Meissner, lesquels capteront les informations sensorielles et les transmettront à des fibres nerveuses qui, par le long chemin de la moelle épinière, porteront leur précieux message sensitif jusqu’au cerveau. Cette dentelle cutanée est en contact avec le système nerveux central, et transmet au cerveau toutes les sensations captées sur la peau par le truchement d’une innervation cutanée afférente (de la peau au cerveau). En retour le cerveau transmet des informations à la peau par le biais d’une innervation efférente (du cerveau à la peau). Ainsi, les nerfs cutanés peuvent moduler un grand nombre de fonctions au sein de la peau, telles que la vasomotricité, la thermorégulation, la sécrétion des glandes sudorales, la croissance et la différenciation des tissus, la cicatrisation, l’inflammation ou encore la réponse immunitaire. Il existe donc une relation étroite entre les fibres nerveuses et les cellules cutanées, qui forment avec le système immunitaire un continuum nommé système neuro-endocrino-immuno-cutané. 

 

Patrick : — Un des effets les plus connus résultant du dialogue entre la peau et le cerveau est l’érection pilaire plus couramment appelée la « chair de poule ». 

Corinne : — En effet, la « chair de poule » ou piloérection est une réaction du corps consécutive à une émotion forte telle que la peur, la colère ou même le plaisir. Sollicité par la peur, le système nerveux autonome émet des signaux vers certains muscles et organes grâce à des neurotransmetteurs tels que l’adrénaline. Cette dernière active la contraction des muscles qui relient les poils à la peau ; ces muscles sont les muscles érecteurs ou horripilateurs. La peau devient alors granuleuse et les poils se redressent, donnant à la peau l’aspect d’une volaille déplumée – d’où l’expression « chair de poule ». 

Corinne : — « Chair de poule » pour le tissu-peau. 

Patrick : — Tissu pied-de-poule et même pied-de-coq pour le motif tissé

 

 

Extrait du Livre TISSU DE PEAU, Corinne DECHELETTE, Patrick MOUREAUX, Donjons Editions, 2022. Illustrations Isabelle COLL. Préface Sylvie MAROT, Historienne de la Mode.