Les peaux, le monde

4 mars 2022
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4 mars 2022 Corinne Déchelette

Les peaux, le monde

La peau. Le tissu-peau a une teinte naturelle obtenue par des pigments naturels – on parle bien de teint de peau. « Quel teint éclatant ! » « Tu as le teint bien pâle ».

Le teint de la peau résulte d’un mélange de pigments intrinsèques qui, en fonction des proportions, va conférer une nuance plutôt jaune, rouge, blanche ou noire au teint de la peau. Si communément, on parle de teint, les scientifiques évoquent la notion de chromotypes. Il s’agit de la pigmentation basale de la peau d’un individu ; c’est à-dire la valeur numérique de la couleur de la peau mesurée par colorimétrie au niveau du menton, zone rarement exposée au soleil et rarement couverte.

Teint, chromotype, comme il s’agit d’un mélange de pigments, on utilise également le terme de pigmentation de la peau. Le premier pigment, l’hémoglobine, est présent dans les globules rouges qui circulent dans les vaisseaux sanguins superficiels de la peau. Ce pigment peut être rouge (sang oxygéné) ou bleu (sang pauvre en oxygène). Ainsi, l’hémoglobine est responsable à la fois de la couleur rose à rouge de la peau mais également de la couleur bleue au niveau des cernes oculaires. Le deuxième pigment de couleur jaune orangé correspond au groupe des caroténoïdes d’origine alimentaire accumulés dans le derme et l’hypoderme, 122 lesquels sont précurseurs de la vitamine A ou acide rétinoïque impliquée dans le métabolisme cutané. Le troisième pigment est représenté par le groupe des pigments mélaniques, du grec melanos « noir » synthétisés par les mélanocytes. Si les eumélanines varient du brun au noir, les phaéomélanines présentent des teintes plus claires avec des nuances rouge à jaune. Ainsi ce sont principalement ces mélanines qui sont responsables de la palette de carnation de la peau laquelle s’étend du beige très clair au marron très foncé avec, entre ces deux teintes extrêmes, un nuancier de tons subtilement dégradés.

Sauf que contrairement aux grands créateurs des maisons de couture, on ne choisit pas sa couleur de peau, pas plus qu’on ne peut faire des essais avec un échantillon de tissu-peau. D’emblée, le tissu-peau est déterminé pour chaque individu. Plus précisément, la génétique détermine le teint de la peau parmi le nuancier des carnations cutanées et le teint de peau peut conditionner toute une vie. 

 

Patrick : — Tout est résumé par Georges-Louis Leclerc de Buffon, non ? 

Corinne — Tout à fait : « L’homme, blanc en Europe, noir en Afrique, jaune en Asie, et rouge en Amérique, n’est que le même homme teint de la couleur du climat. » 

 

On ne peut pas modifier la couleur de sa peau, c’est ainsi une différence de taille entre le tissu textile et le tissu-peau. Sauf à considérer le fond de teint et le maquillage correcteur comme une teinture provisoire et éphémère du tissu-peau. Le premier permet d’unifier ou d’atténuer en apparence les imperfections du teint, voire parfois de le colorer légèrement. Il se présente sous différentes formes : crème, crème-compact ou poudre libre de couleur chair variant du beige clair au marron foncé. Le maquillage correcteur, quant à lui est basé sur le principe du cercle chromatique où les couleurs complémentaires sont opposées : le vert neutralise le rouge, le jaune neutralise le bleu, le mauve neutralise le jaune, le brun masque le blanc et le blanc accroche la lumière. 

 

Corinne : — Décidément, la peau nous en fait voir de toutes les couleurs. Concernant les poils (pour une fois), on ne peut pas se dispenser d’évoquer la teinture capillaire. Les cheveux comme les poils sont des phanères. Lorsqu’on parle de l’organe peau, il s’agit à la fois de la peau glabre et velue ; comprendre que les poils du corps et du scalp font partie de la peau. 

Patrick : — Il ne faut pas oublier qu’à l’origine la peau était fourrure. 

Corinne : — Oui et paradoxalement, à l’inverse de la couleur de la peau, on peut modifier la couleur des cheveux. D’ailleurs le nuancier capillaire connait peu de limites, du blond platine au noir corbeau en passant par le rouge cuivré et voire le bleu pour les audacieux. 

 

Les cheveux sont à ce titre comme le tissu textile, leur couleur d’origine peut être modifiée par des teintures naturelles à base de pigments issus des plantes dites tinctoriales ou à base de pigments artificiels issus de l’industrie chimique. En l’occurrence, tout est histoire de réactions chimiques avec les pigments mélaniques. En effet, la coloration capillaire procède du phénomène d’oxydation. Des produits oxydants tels que l’ammoniaque ou l’eau oxygénée ouvrent les écailles du cheveu, détruisent in situ les mélanines décolorant ainsi le cheveu. Et simultanément, des pigments de synthèse pénètrent dans la tige pilaire, se substituant ainsi aux pigments naturels. Facile pour les cheveux, mais impossible de faire la même réaction chimique avec la peau où les mélanines sont inaccessibles. Pour le maquillage ou le tissu, la couleur « nude » pose question. Comment la déterminer ? Comment être inclusif ? Faudrait-il compter avec 50 nuances de beiges, 50 nuances de jaunes, 50 nuances de marrons… ?

 

 

Extrait du Livre TISSU DE PEAU, Corinne DECHELETTE, Patrick MOUREAUX, Donjons Editions, 2022. Illustrations Isabelle COLL. Préface Sylvie MAROT, Historienne de la Mode.